BATHYSKAPHOS

2022 / La Corderie Royale, Centre International de la Mer, Rochefort


[...] comment pourrais-je retracer les impressions que m’a laissées cette promenade sous les eaux? Les mots sont impuissants à raconter de telles merveilles !” 

Jules Verne, Vingt Milles Lieues sous les mers



Là où les mots sont vains, Elsa Guillaume s’empare des images et des matières pour donner vie à l’émerveillement que suscite la vie aquatique sur son imaginaire.

Pour sa carte blanche à la Corderie Royale, l’artiste propose un voyage initiatique qui nous emmène des abysses jusqu’à la surface, à la découverte de ces mondes flottants encore trop méconnus.

A la lisière de la science et de la fiction, l’artiste explore le potentiel poétique engendré par les machines d’exploration sous-marine imaginées au cours de l’Histoire pour pénétrer ce milieu longtemps redouté et inaccessible. Du scaphandre au bathysphère, du submersible à la station sous-marine, Elsa Guillaume réinvente ces formes mécaniques en se laissant guider par la matérialité du verre et de la céramique qu’elle façonne dans ses sculptures.

Par un dispositif scénographique immersif, l’artiste plonge le spectateur au sein de ces environnements sous-marins qui lui sont chers, tout en partageant les perceptions vécues lors de ses voyages. Elle livre ses visions fantastiques, faites de machines humaines à l’esthétique rétro-futuriste et de créatures étranges qui oscillent entre chimères et espèces réelles.


Paradoxalement, cette approche onirique nous propulse dans un futur climatique bien réel, au cours duquel l’être humain va devoir composer avec la mer et la montée des eaux. Face à l’inquiétude climatique, Elsa Guillaume s’empare de l’imagination comme d’un matériau tangible et malléable pour venir retisser nos liens rompus avec cet écosystème unique. En ravivant l’immense pouvoir fictionnel du monde sous-marin, ses œuvres nous rappellent que nos corps liquides en sont les descendants directs et restent, aujourd’hui plus que jamais, tributaires de sa sauvegarde.

LICIA DEMURO


Spacesuit, 2012
Céramique, câbles
échelle 1
Ce casque de scaphandre à taille humaine nous accueille à l’entrée de l’exposition tel un guide fantomatique qui invite le visiteur à s’équiper pour partir en exploration. Tout en suggérant la préparation nécessaire aux plongeurs, il nous rappelle les limites de notre condition humaine à pénétrer physiquement l’espace sous-marin. Cette protection mécanique évoque les inlassables recherches vouées à inventer toujours plus d’outils et de machines capables de remédier aux impairs de notre évolution.

Pièce emblématique du corpus de l’artiste, l'œuvre Spacesuit marque les débuts d’une pratique artistique stimulée par les sujets de la mer et le travail de la céramique. Réalisée lors d’un séjour au Brésil et constituée de plusieurs éléments à assembler après cuisson, il lui fallu la ramener dans ses bagages. L’artiste décida finalement de la laisser en pièces détachées, flottant dans l’espace, en référence à l’apesanteur sous-marine et aux plans éclatés des illustrations scientifiques.



L’installation immersive R.O.V.21, rejoue les expéditions menées par les véhicules sous-marins téléguidés (ou ROV, Remotely Operated underwater Vehicle) qui permettent aux scientifiques d’explorer les profondeurs.

Les images sont principalement tirées d’un voyage au Mexique où l’artiste a plongé dans les cénotes, ces grottes souterraines de calcaire séculaire, sombres et arides, emplies d’un mélange d’eau douce et salée. D’autres plans ont été filmés en Mer Méditerranée sur l’île sicilienne d’Ustica, première aire marine protégée d’Italie qui recèle de nombreuses cavités volcaniques. Dans ces dédales d’eau et de roche, les faisceaux de lumière pénètrent pour venir dessiner les reflets ondulés de la surface et se confondre ensuite avec les halots artificiels des lampes torches. En nous entraînant dans un mouvement de descente et de remontée successives, l’artiste nous guide à l’intérieur d’un environnement poétique, composé d'abstractions. Aux motifs irréguliers et géométriques des fonds rocailleux s’ajoutent les lignes de lumière et les monochromes bleus de l’élément aquatique, tandis que les sons à la fois robotiques et vivants, créés par l’artiste Christine Groult, nous situent dans un présent absolu. Immergé, le corps humain se retrouve entièrement absorbé par les mystères du monde sous-marin, c’est alors que l’esprit se plonge dans un état méditatif et contemplatif tout particulier.

R.O.V.21, 2021
Installation vidéo, 3’30”
avec une création sonore de l’artiste Christine Groult



Cet ensemble de submersibles aux nuances jaunes et grises fait office de cité mobile en miniature. Imaginée comme une maquette d’architecture spéculative, elle se compose de véhicules à propulsion, reconnaissables à leurs hélices, et de deux pièces installées à la verticale susceptibles d’indiquer de possibles habitations.

Réalisée en collaboration avec le Centre International des Arts Verriers de Meisenthal, cette cité vitrée et translucide rend hommage aux savoir-faire des maîtres verriers dont l’art a également accompagné le développement de l’exploration sous-marine grâce à sa nature à la fois transparente et isolante.

Les formes ovoïdales et hydrodynamiques de ces précieux submersibles, insufflées par les arrondis du verre, réinterprètent les lignes du fameux sous-marin “Nautilus”, raconté par Jules Verne dans son roman Vingt mille lieues sous les mers. L’auteur lui-même s’était inspiré du premier sous-marin français “le Plongeur” (1863), dont un modèle remarquable, aujourd’hui conservé au Musée de la Marine de Rochefort, a également nourri l’imaginaire de l’artiste pour son installation.

Elsa Guillaume imagine ici un prolongement de la fiction vernienne qui propose aux humains une expérience de vie pérenne sous la mer. Cependant, loin des armures froides et métalliques généralement employées, la cité des Nautiloïdes se veut légère, mouvante et perméable, capable d’entrer en symbiose avec le milieu aquatique, telle une bulle d’air se frayant un chemin parmi les particules d’eau.


Nautiloïdes, 2021
Verre soufflé, métal
15 pièces, dimensions variables
Coproduction CIAV de Meisenthal & CIM







Hieronymus, 2019
Céramique
De curieuses créatures peuplent les rebords ondulés de cette salle consacrée aux sculptures en céramique d’Elsa Guillaume. Sur ces socles qui rejouent les lignes courbes des cartes bathymétriques, s’érigent des personnages à la nature hybride, dont les formes rappellent à la fois la faune et la flore sous-marine ainsi que les reliefs du plancher océanique.

Malgré leurs corps en transformation, on peut reconnaître les traits de certains habitants des abysses, certains connus pour leur gigantisme, comme les calamars, les crabes et les moules. Parmi eux, des êtres chimériques arborent une tête minérale qui rappelle les “fumeurs noirs”, ces sources hydrothermales de plus de 350 °C reliées à la croûte terrestre et dont on a tout récemment découvert l'impact surprenant sur les formes de vie qui se sont développées dans les grands fonds.

Ces créatures semblent fluctuer à l’intersection d’un temps à la fois primitif et contemporain, ainsi que d’un espace à la fois terrestre et aquatique. Elles célèbrent ce devenir permanent du vivant dont la pulsion vitale nourrit une poétique de la métamorphose. Par leurs interactions dynamiques, elles nous montrent l’essence sociale de tout être vivant. Tantôt, les personnages fusionnent et se confondent, tantôt ils se fragmentent et se dispersent, reflétant – grâce aux traitements des surfaces qui varient du grès brut à de l’émaillage métallique – les états changeants de toute substance organique.


Traversée par un câble qui transforme le sol en fond marin et le plafond en surface, une station sous-marine impénétrable projette le visiteur dans l’espace abyssal. Elle semble s’inscrire dans la continuité des habitats marins temporaires expérimentés jusqu’à aujourd’hui, comme le projet “Précontinent”(1962-1965) de Jacques-Yves Cousteau, l’Aquarius Reef Base (1986), la Station Bathyale de la mission Gombessa V (2019) ou encore le futur centre Proteus imaginé par l’aquanaute Fabien Cousteau. Cet historique révèle la part de rêve qui lie les êtres humains à la mer, allant jusqu’à faire se confondre réalité et science-fiction, notamment lorsqu’on imagine les possibilités d’une vie subaquatique.

Elsa Guillaume invente ici l’équivalent sous-marin du Refuge Tonneau conçu par l’artiste Charlotte Perriand en 1938 pour la haute montagne. Constituée de trois habitacles arrimés au sol grâce à des collecteurs à huîtres, cette station subaquatique comporte des hublots fumés qui la rendent inaccessible et énigmatique. Alors qu’on découvre cette architecture singulière, des masques en forme de limules se baladent sur les murs tout autour, en venant partager la curiosité du visiteur pour cette habitation immergée.

photographie: © Tadzio




DANS L’EXPOSITION


© 2023 / Elsa Guillaume