Frédéric Verger
2017
Jadis on prenait la mer pour trouver des merveilles. On alignait les plus extravagantes dans des cabinets de curiosité où les amateurs se promenaient en frissonnant de l’étrangeté du monde. Aujourd’hui les jeunes partent sur une mer où l’on ne peut plus se perdre. La vieille magie est morte, ils en créent une nouvelle.

C’est le monde lui-même qui est devenu leur cabinet de curiosité. Et il se passe quelque chose d’amusant et d’insolite, source de charme et, parfois aussi, d’effroi : l’homme est devenu l’un des objets du cabinet. Car dans le pays des merveilles d’Elsa, où l’espiègle, l’élégant, sont toujours liés à quelque chose de mystérieux, d’inquiétant peut-être, – qui dira la différence entre la chose et le vivant?

Son odyssée paisible nous montre que cette distinction est une autre de nos illusions. Les choses ne sont qu’un mode dessiné, purifié, du vivant ; le vivant, le mode fantastique des choses. À moins que ce ne soit le contraire, car dans ce pays, l’objet conserve le charme terrifiant de la vie et le vivant possède la noblesse graphique de l’objet.

Nous aussi d’ailleurs, nous finirons objets : graphiques squelettes, cendres élégantes. La vie est un songe. Un dessinateur, encore pris dans le sommeil, s’éveille sur le pont et se demande si les formes qu’il rêvait sont devenues vivantes ou si c’est le monde autour de lui, vagues, poissons, îles, cabanes sous les arbres, qui est le carnet à dessins d’une divinité.

Elsa a pris la mer pour jouer avec cette incertitude délicieuse. C’est sa baleine blanche, mais Achab est mort, Alice est à la barre. Ces carnets nous offrent les bêtes et l’océan de Melville au soleil de Lewis Carroll.


texte de Frédéric Verger, écrivain et critique littéraire, Prix Goncourt du premier roman 2013 pour Arden (publié aux éditions Gallimard), pour la préface de Carnets Coralliens

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