Matthieu Lelièvre
2016
Succulente d’Elsa Guillaume ressemble à un musée de merveilles anthropologiques constitué de fragments humains ou de viande en train de sécher. Les feuilles suspendues ainsi que le titre évoquent ces plantes étranges qui ont développé des méthodes surprenantes de survie en milieux arides telles que l’adoption de formes repoussantes et la production de cire, afin, notamment, de piéger l’eau. Ces plantes étranges, gonflées et piquantes sont ici suspendues en compagnie de doigts et d’orteils humains semblant autant de prises de combat ou d’ornements.

Cette recomposition ethnographique pourrait être digne d’un comic book ou d’une version illustrée d’un livre de Levi-Strauss. Elsa Guillaume compose d’ailleurs des journaux de voyages tels des fresques truculentes où l’humour et la cruauté se nourrissent mutuellement. Les planches gravées de Théodore de Bry, qui a illustré les récits des voyageurs en particulier les scènes de cannibalisme et le commerce de fragments humains comptent parmi ses inspirations. Mais cette installation trouve plus directement son origine dans les ex-votos suspendus qu’elle aura vus à Bahia ou encore une cabane du Museu dos Indios à Rio de Janeiro qui a en particulier fasciné l’artiste pour cette proximité entre la convivialité et le sacrifice. Cette structure devenue dans son croquis un véritable cirque à chapiteau contenait les rites des vivants ainsi que les reliques des morts. Une vision de l’architecture écran à la fois protectrice et mémorielle.

Une curiosité et un regard avides lui permettent d’établir des liens surprenants entre son art et les traditions artistiques et culturelles telles que les usages culinaires. Entre spiritualités, traditions alimentaires (japonaise par exemple) ou sociales, elle décode les rites pour les transformer en pratiques artistiques et contes narratifs qu’elle dessine et sculpte. Elle pose alors le crayon et s’empare de la pâte de kaolin qu’elle modèle, découpe, recouvre parfois de glaçure et cuit, produisant ici, assez ironiquement, de la chaire humaine en biscuit.


texte de Matthieu Lelièvre, commissaire d’exposition et conseiller artistique au Musée d'art contemporain de Lyon, pour le catalogue du Salon de Montrouge 2016

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